En janvier 2015, alors que Zahora et moi commencions à peine notre inventaire de la flore du Tafilalet, nous avons trouvé une plante qui n'était pas décrite dans la "Flore du Sahara" de Paul Ozenda. Il y avait eu des pluies exceptionnelles deux mois plus tôt et les berges des oueds étaient couvertes d'une profusion de crucifères jaunes ou bleues. Pour nous y retrouver, nous cueillons un pied de chaque espèce et nous les mettons côte à côte :
Nous n'étions pas les seuls à avoir observé cette plante suite aux pluies exceptionnelles de novembre 2014. Abdelmonaim Homrani-Bakali, un botaniste d'Errachidia, l'avait aussi trouvée et en avait fait circuler des photos qui ont fini par arriver sur le forum de tela-botanica ; personne ne put lui donner un nom et toutes sortes d'hypothèses furent émises : serait-ce un chou cultivé importé d'Afrique tropicale par des caravanes parties de Rissani ? Serait-ce un hybride avec Crambe kralikii ? A défaut de réponse plus convainquante l'hypothèse hybride semblait la plus vraisemblable, mais pour la valider encore fallait-il avoir la chance de trouver dans la nature une station avec les deux espèces parentes et le produit de leur croisement.
L'affaire en resta là jusqu'à ce que, au printemps 2017 nous trouvions une grosse station de cette plante dans un petit oued au pied de la hamada du Bin el Korbine.
Détermination
Mais cette espèce n'est peut-être pas tout à fait nouvelle pour la science. En effet les botanistes Ph. Guinet et Ch. Sauvage qui avaient parcouru le Tafilalet en février 1951, notaient dans "les hamada sud-marocaines" : 87. Brassica sp. - Th. Lits sablonneux des grands oueds. O. Ziz, près du Mfis (32). Cette plante remarquable, qui atteint 90cm, n'avait pas des fruits suffisamment développés pour la déterminer. Elle semble appartenir au genre Brassica. JOLY l'avait déjà récoltée en février 1949 en fleurs seulement, dans les Kem-Kem lrijdalen à la tête du Bou Seroual. Elém. géogr. : ? Peut-être espèce nouvelle.
Un espèce nouvelle, donc, pour la science mais pas pour les petites bergères nomades du Bin el Korbine qui, interrogées par Zahora, dirent qu'elles connaissaient bien cette plante, qu'elle s'appellait "Zizaou n'oudad", ce qui veut dire "le chou du mouflon", et qu'on la rencontrait ici ou là après la pluie, mais pas très souvent. Par contre des personnes interrogées à Haroune et à Ouzina nous dirent ne pas la connaître.
Répartition au Sahara
Le fait de trouver une plante endémique restreinte à une petite zone du Nord-Ouest du Sahara ne doit pas étonner. D'autres endémiques très localisées sont connues, comme Volutaria belouinii, Teucrium takoumitense ou Eruca foleyi, une grande crucifère à fleurs bleues que l'on rencontre en compagnie de Zizaou n'oudad dans le Sud de son aire... et d'autres sont peut-être à découvrir dans cette zone qui n'a été que peu prospectée par les botanistes.
Tiges / Feuilles
Boutons / Fleurs
Fruits / Graines
Intérêt pastoral
L'appellation de "chou du mouflon" laisse présager que cette plante n'est pas consommée par les troupeaux. De fait nous n'avons trouvé qu'une seule fois des pieds broutés vraisemblablement par des ânes ensauvagés ; ils avaient mangé les tiges florales et l'extrémité des feuilles.
J'ai goûté cette plante : les feuilles ont un goût de chou ; elles sont tendres et ne sont pas amères. Pourquoi les animaux ne la consomment-ils pas plus ? Mystère ! Serait-elle toxique ? Les animaux répugneraient-ils à consommer les plantes qu'ils ne rencontrent que rarement ?
Références botaniques
Il fallait valider scientifiquement les découvertes faites sur le terrain. Cela a été la tâche de Markus koch, un botaniste-généticien allemand, spécialiste des Brassicacées. Nous lui avons envoyé des parts d'herbier et des graines. Ces graines ont été cultivées en serre et ont permis de prélever des échantillons soumis à l'analyse génétique.
Cette analyse a confirmé que cette plante appartenait à un genre nouveau et a pu positionner ce genre dans le cladogramme des Brassicacées.
L'analyse a montré que Zahora était un genre qui a évolué il y a 6 millions d'années à partir d'une population ancestrale qui a aussi donné naissance à une grand nombre d'espèces de choux, de navets et autres espèces apparentées.
Cette plante a été nommée Zahora ait-atta. Zahora est le prénom de mon épouse, présente dans tout ce travail comme prospectrice sur le terrain, comme photographe et comme interlocutrice dans les contacts avec les familles nomades. Mais Zahora signifie aussi "fleur" en arabe, ce qui est un nom tout trouvé pour une plante endémique marocaine.
Quant à "ait-atta", c'est le nom de la confédération des tribus amazigh qui habitent le Tafilalet et le Saghro, tribu à la quelle appartiennent Zahora mais aussi les nomades qui connaissaient cette plante depuis toujours et la nomment Zizaou n'oudad".